Page:Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, 1881.djvu/555

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réparties que dans le présent, quoique l’imagination grossisse outre mesure les inégalités de la répartition actuelle.

L’ensemble de causes que nous avons constatées travaille d’une manière continue et avec une croissante énergie. La rente de la terre, menacée par la concurrence des contrées neuves, de l’Amérique, de la Russie, de l’Australie, bientôt du Soudan, de l’Asie centrale et de la Sibérie, a plus de tendance à reculer qu’à se développer de nouveau. N’en déplaise à Ricardo, les propriétaires fonciers, du moins les propriétaires ruraux, ne sont plus les favoris de la civilisation ; on ne peut aujourd’hui les assimiler aux frelons qui pillent la ruche où ils n’ont pas travaillé.

Le privilège de situation territoriale s’amoindrit chaque jour par la facilité et le bon marché des transports ; bien loin que l’on soit au terme de la révolution produite par les voies de communication nouvelles, on se trouve en pleine opération de cette cause si puissante. Transports par terre et surtout transports par eau, fret maritime, iront encore en diminuant ; et le cultivateur européen, ne profitant plus que dans une mesure infinitésimale de la protection des distances, ne tirera de sa terre que le juste équivalent de son travail et aura de la peine à y joindre l’intérêt des capitaux incorporés au sol par ses prédécesseurs. Seuls quelques propriétaires particulièrement heureux, en nombre d’ailleurs insignifiant, ceux qui détiennent un sol exceptionnellement apte à la production de certaines denrées raffinées, comme des vins de grands crus, pourront voir leur opulence triompher de cette cause si active de nivellement. Mais qu’est-ce qu’une exception aussi rare ? Ce n’est pas, d’ailleurs, l’égalité des richesses que nous annonçons, c’est seulement une moindre inégalité des conditions. Du sein de la presque universelle médiocrité des revenus il émergera toujours quelques énormes fortunes, colosses aux pieds d’argile.

Pour n’être pas aussi menacées que les propriétés rurales, nous ne croyons pas que les propriétés urbaines soient réservées, cependant, à un développement aussi brillant et aussi rapide dans l’avenir qu’il l’a été dans le passé. Un certain nombre d’entre elles jouiront, d’une plus-value, c’est incontestable. Presque toutes