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Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/253

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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

— Ah ! que disent-ils de moi ?

— Peu de choses ; mais de lui, des éloges.

Il avait les poches bourrées de périodiques du matin. Ma femme s’en empara.

— Plus tard, Lulu, plus tard… Lulu !… moi je l’appelais : Lucette. Je lui avais cherché cette rime à Ninette pour qu’elles s’appareillassent sur mes lèvres comme dans mon cœur. Et lui disait : « Lulu », la marquant d’un degré de plus dans la familiarité. J’en fus durement offensé. J’avais déjà remarqué que, chez l’homme, la blessure d’amour-propre est aussi aiguë que l’atteinte à l’amour tout simplement, quand elle ne prévaut pas. Je le pouvais cette fois encore observer sur moi-même. Sous cet empire, ma défaite sombrait dans la colère. Je la surmontai cependant, en me conseillant un définitif éclaircissement. Rien ne m’avait en somme démontré jusqu’à présent que cet individu fût le larron de mon honneur. Des liens de parenté pouvaient exister entre cette femme et Guy, qu’on m’avait laissé ignorer, pour que je ne reculasse pas devant l’indignité de la famille au moment de notre mariage. Jojo, le père, n’avait-il pas mené une existence para-conjugale mystérieuse, éparse, et vraisemblablement prolifique…

Oui, voilà à quelle considération ne portait encore ma coutumière indulgence. J’espérais pouvoir attacher Guy, Lulu et Jojo à la même souche déshonorante !

Mais trois répliques à voix basse me détrompèrent définitivement :

— Eh bien, vous n’avez plus de raison d’être jaloux, maintenant ?

— Si, encore, toujours !

— D’un mort qui ne fut jamais pour moi qu’un mari honoraire !

— C’est vous qui le dites… Mais les femmes sont sensibles à la réputation de leur mari… et souvent quand vous me quittiez pour allez le retrouver, ah ! Lulu, que j’en souffrais !