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LES BRAVES GENS.

de la famille se trouvèrent tous armés de mirlitons monstrueux et de bâtons de sucre d’orge à la vanille. Jean etRobillard avaient disparu.

Les chevaux qui sentaient leur écurie, ne se firent pas prier et marchèrent bon train. Cependant la sauterelle de Robillard poussa une pointe vers un pigeonnier qu’elle prenait sans doute pour un moulin. Don Quichotte prenait bien les moulins pour des géants ! Robillard lui rendit la main, se promettant bien de lui faire rattraper le temps perdu. Tout à coup, arrivé dans un pli de terrain, Robillard aperçut M. Schirmer couché sur l’herbe. Il avait une carte étalée devant lui, et semblait y écrire des annotations. Surpris dans cette innocente occupation, il mit son chapeau sur la carte afin de la cacher, comme si c’était un crime de faire de la géographie en plein air. Robillard, en passant, lui demanda s’il faisait des vers didactiques sur la géographie ; l’Allemand fit la sourde oreille, et répondit qu’il « faisait beaucoup chaud ».

Quand les deux voyageurs rentrèrent, il y avait une visite au salon ; Robillard alla faire un tour au jardin. Il y trouva Baptiste en contemplation devant les poissons rouges du bassin. Robillard aimait beaucoup Thorillon, qui avait une admiration profonde pour Robillard. Le seul point où ils fussent en désaccord, c’est que Thorillon tenait absolument à parler à la troisième personne, ce que Robillard trouvait bien inutile et bien cérémonieux. Pour l’amuser, il lui raconta les exploits des deux chevaux et la bizarrerie de M. Schirmer, qui avait caché sa carte sous son chapeau. « Les cartes, dit Thorillon, c’est une idée fixe chez ce pauvre jeune homme. Il doit avoir quelque chose de fêlé ici, ajouta-t-il en portant l’index à son front. Chez lui, c’est tout rempli de cartes, et il en dessine continuellement. Il dessine bien ; je m’y connais, j’ai assez vu les plans de M. Nay : les siens sont presque aussi propres. Il y a eu un moment où il s’était pris de passion pour la Louette ; il était toujours en bateau avec les tireurs de sable, et il prenait note de tous les trous et de tous les gués. Une vraie manie, quoi ! »

Cette manie, d’ailleurs, n’était pas particulière à M. Schirmer. Beaucoup d’autres Allemands, jeunes ou vieux, venus en France pour tout autre chose, étaient, il faut bien le croire, si épris de la beauté du pays, qu’ils en étudiaient les moindres détails avec un soin extraordinaire. Leur amour de la France et leur désir d’en connaître à fond les institutions ne se bornaient pas là. M. Schirmer, par exemple, savait aussi bien que le percepteur et le receveur municipal ce qui entre dans les caisses des villes et dans celles de l’État. Il savait même