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LES BRAVES GENS.

strueux ; le long des parois pendaient tristement des ronces échevelées, mélangées de buissons d’épines noires et d’églantiers qui semblaient frissonner sous la brume. Au centre à peu près de ce bassin irrégulier, une mare gelée faisait comme une tache noire. Certaines parties de la paroi étaient percées de trous béants qui donnaient entrée dans des galeries d’exploitation.

« Descendons, dit Jean, nous serons toujours à l’abri ; nous nous reposerons un peu et nous verrons ensuite. »

Un des hommes, qui avait fait quelques pas à l’entrée d’une des galeries, poussa une exclamation de surprise. Dans un enfoncement, il y avait de la paille ; un homme était là assis, immobile, embrassant de ses deux mains ses genoux qu’il ramenait contre sa poitrine, comme pour se réchauffer. L’homme, sans faire aucun mouvement, regardait le soldat avec des yeux égarés. Jean accourut.

« Eh, l’homme ! dit-il au paysan, que faites-vous donc là ?

— Je suis en train de crever de froid et de faim, dit l’homme d’un ton farouche. Oh ! les brigands !

— Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

— Ils sont là, dans ma ferme, à une demi-lieue d’ici. Ils ont tout pris, tout ! Je les ai priés et suppliés de me laisser quelque chose, ils se sont mis à rire, et m’ont jeté à la porte comme un chien, en disant que je dérangeais le général. »

Au mot de général, Jean avait dressé l’oreille. Une idée audacieuse venait de naître dans son esprit. « Étant donnée la prudence bien connue de ces messieurs, se dit-il, s’il y a un général si près d’ici, c’est que nous sommes en plein dans leurs lignes. Il y a peut-être un bon coup à faire. »

« Combien sont-ils ? demanda-t-il au paysan.

— Une vingtaine au moins ; mais, sauf votre respect, ils sont tous dans les vignes. J’avais un tonneau bien caché que je gardais pour le mariage de ma fille, ils l’ont trouvé, ils l’ont défoncé, ils ont bu à même.

— Est-ce que votre fille est à la ferme ? Y avez-vous laissé quelqu’un ?

— Pas si bête ! dit le paysan en relevant la tête. J’ai fait partir les bestiaux, la mère et les enfants quand j’ai vu de quoi il retournait.

— Tant mieux, se dit Jean, nos mouvements n’en seront que plus libres. » Et il reprit :

« Est-ce qu’il y a des postes aux environs ?

— Non ! ils sont arrivés là comme en voyageurs, avec un gros père