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Page:Les Braves Gens.djvu/264

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LES BRAVES GENS.

le paysan s’arrêta. « Il faut descendre là-dedans, » dit-il tout bas à Jean, en lui montrant une marnière. On y descendit, chacun retenant son haleine. À partir du fond de la marnière, un petit chemin d’exploitation remontait en pente douce jusqu’au chemin, de l’autre côté duquel on commençait à apercevoir confusément la silhouette d’une petite ferme entourée de grands noyers dépouillés. On fit halte. Jean courbé en deux s’avança à la découverte. Une haie sans feuilles, mais assez fourrée pour servir d’abri, bordait ce côté du chemin ; il y avait quelques trouées. Il remarqua aussi une herse debout contre le tronc d’un noyer, puis un tas de fagots fortement entamé. Le long du mur de la ferme, un dragon enveloppé dans son manteau, le sabre au poing, allait et venait en battant la semelle.

Toutes les fois qu’il arrivait à la porte, il allongeait le cou dans l’intérieur de la cour et semblait bien plus préoccupé de ce qui se passait au dedans que des dangers qui pouvaient venir du dehors.

Jean fit signe à ses hommes, qui le rejoignirent un à un. Collant ses lèvres à l’oreille d’un des soldats, il lui dit quelques mots en lui montrant la sentinelle. L’autre remua à plusieurs reprises la tête de haut en bas.

En ce moment, un dragon parut à la porte de la ferme, un saladier plein de vin à la main. Il fit entendre un petit sifflement, et la sentinelle qui lui tournait le dos se retourna vivement ; ils se mirent à rire tous les deux. Comme le soldat en faction n’arrivait pas à dégager sa main droite de la dragonne de son sabre, l’autre, qui craignait d’être pris en flagrant délit, lui porta le saladier aux lèvres. C’était une grossière parodie de la scène charmante d’Éliézer et de Rebecca. Jean fit signe à un second soldat et lui désigna l’homme au saladier. Les soldats de sa petite troupe, le jarret tendu, n’attendaient plus qu’un signe pour s’élancer, lorsqu’un nouveau personnage apparut.

C’était un officier de haute taille, mince et blond avec d’énormes moustaches, et l’air si arrogant que ce devait être un homme de haute naissance. Il arracha brusquement le saladier des mains du camarade complaisant, en jeta le contenu au visage de la sentinelle, et assena à l’autre un tel coup sur le béret, que le saladier se brisa dans sa main. Non content de ce premier châtiment, il tomba à coups de pied et à coups de poing sur le délinquant, qui tâchait, mais en vain, de rester au port d’armes sous cette grêle de coups.

Pendant que l’officier faisait ainsi de la discipline à la prussienne,