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LES BRAVES GENS.

que vous ne soyez pas secourus à temps. Voulez-vous me jurer de ne pas détacher vos soldats avant cinq heures d’ici, et je vous laisse libre ? »

Le capitaine consentit, et Jean donna le signal du départ. Un des soldats de Jean qui avait reçu un coup de sabre fut mis dans la calèche avec le général.

Le fermier avait rejoint les vainqueurs, il se chargea de les conduire. Le brouillard s’était un peu dissipé ; on put s’acheminer tant bien que mal dans la direction des lignes françaises. La calèche parcourait des chemins que jamais calèche n’avait parcourus ; les hommes poussaient à la roue pour se réchauffer un peu. Le général grognait tout le temps ; le soldat blessé déclara depuis qu’il n’avait jamais eu de camarade de chambrée plus insupportable. Après d’horribles fatigues et des alertes perpétuelles, à la pâle lumière d’une matinée d’hiver, on commença à entrevoir dans le lointain une colline boisée avec un petit clocher aigu entre les arbres, et une grande maison à trois cheminées qui dominait la colline. « C’est là ! dit Jean ; mes amis, nous sommes sauvés. »

On vit bien sur la gauche un uhlan en vedette qui fit mine de s’approcher ; mais il se contenta d’observer à distance, puis il partit au grand galop. Enfin on rencontra des hussards français, le pistolet au poing. On se fit reconnaître, et une heure après Jean faisait son rapport au colonel.

Au bout de très-peu de temps, il fut promu lieutenant. « Si cela continue, écrivait-il à sa mère, un de ces jours je me réveillerai colonel, et je serai en si bon chemin, que, la guerre finie, je ne songerai plus à quitter le métier. »

Cette lettre fut la dernière que Jean écrivit à sa mère. L’armée de la Loire battait toujours en retraite. Par une glaciale soirée d’hiver, le régiment de Châtillon campait autour d’une ferme, en plaine. On s’attendait à passer la nuit dans ce campement, lorsque tout à coup le colonel, qui venait de recevoir des ordres, fit réunir les officiers sous un hangar qui lui servait d’abri.

« Messieurs, leur dit-il, pour le succès d’une opération qui est un secret même pour moi, il est nécessaire qu’un détachement reste à cette place, et s’y fasse tuer jusqu’au dernier homme, s’il le faut, pour arrêter l’ennemi. Nous trouverons des hommes dévoués : qui de vous veut se mettre à leur tête et donner sa vie pour son pays ? »

Dès les premières paroles du colonel, Jean avait deviné ce qu’il