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LES BRAVES GENS.

— Faut-il vous aider ? dit l’officier en riant. Tenez, voilà la liste de ce que vous demanderez à chacun des habitants riches. »

Le maire n’en croyait pas ses yeux. Tous les noms des notables, le sien en tête, étaient inscrits au crayon sur une feuille de papier ; en regard était l’indication de ce que chacun devait payer au prorata de sa fortune.

L’officier souriait d’un méchant sourire.

« Vous pourrez garder cette liste, dit-il au maire, elle vous servira pour les autres amendes que la ville pourra encourir. Allez et faites vite. »

En moins de deux heures, le maire avait recueilli les cinquante mille francs. « Maintenant, dit l’officier, marchez devant nous. »

Toute la troupe, le maire en tête, descendit la colline avec précaution. Quand le poste eut déposé ses armes, l’officier marcha droit à la mairie et se fit donner des billets de logement pour ses hommes et pour le régiment qui allait arriver. De tous les côtés, des sous-officiers, la craie à la main, s’en allaient marquant les logements ; et ils ne les marquaient pas au hasard : ils consultaient pour cela de petites listes préparées d’avance, et se renseignaient sans hésitation sur le nom des rues et sur celui des personnes. On crut d’abord que quelque traître avait livré aux ennemis le secret de la fortune de chacun.

Bientôt entra, musique en tête, un régiment d’infanterie avec ses fifres et ses tambours, dont le son restera à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont une fois entendu. Pendant que les casques pointus défilaient, que les lourdes bottes résonnaient sur le pavé, que les officiers à coup de plat de sabre rétablissaient les alignements, les habitants assistaient, la rage dans le cœur et l’œil morne, à la profanation de leurs foyers.

Parmi les sous-officiers roides et sanglés, on en remarquait un plus roide, plus sanglé que les autres, et qui semblait jouir plus qu’eux de son entrée triomphale dans la ville. Il tournait, comme un automate, la tête à droite et à gauche, souriait d’un large sourire, et semblait s’attendre à chaque instant à être salué par quelqu’un de connaissance. Par moments il se cambrait avec orgueil, et son petit sac de toile cirée ne semblait pas plus lourd qu’une plume sur son dos : c’est quand il entendait quelqu’un dans la foule dire à demi-voix : « Tiens, c’est Schirmer ! »

C’est lui qui avait écrit de sa belle écriture la listes des notables, les listes de logements. C’est lui qui envoya un général et tout son état-