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LES BRAVES GENS.

— Vous dites cela : mais moi je vous dis qu’il le faut.

— Peut-être bien qu’il le faut, reprit M. Robillard d’un ton conciliant. Je ne peux pas vous prouver le contraire. Mais, pour sûr, je n’irai pas.

— Nous recourrons à la force.

— Recourez à la force ; mais vrai, ça ne se fait pas. »

Et il s’en retourna tranquillement à la mairie et de là chez lui, où il dîna aussi paisiblement que si les Allemands eussent été à deux cents lieues.

Le lendemain il était encore au lit, lorsqu’un gendarme vint lui dire de se préparer.

« Mon garçon, répondit-il en se dorlotant dans ses couvertures, c’est mon jour de migraine, et ces jours-là je reste au lit un peu plus tard. Tirez la porte tout doucement. »

Un sous-officier vint avec quatre hommes. « Levez-vous ! lui dit-il.

— Pas encore. »

Les soldats renversèrent son lit, et il se trouva en chemise en présence de l’officier. « Ça, dit-il, c’est de la brutalité. » Et il se mit en devoir de ramasser son lit. L’officier posa son pied sur le lit. M. Robillard s assit sur une chaise.

« Habillez-vous ! dit le sous-officier.

— Je ne m’habillerai pas ! » reprit M. Robillard qui commençait à se fâcher.

L’autre eut un instant l’idée de le faire habiller de force par les soldats, mais il craignait que le ridicule de cette scène ne les mît en gaieté, et que cela ne portât un coup à la discipline. Il ouvrit la porte toute grande et dit : « En marche ! »

M. Robillard ne bougea pas.

« Faites-le donc marcher ! » dit le sous-officier aux soldats qui hésitaient.

Les soldats prirent M. Robillard par-dessous les bras et le poussèrent, en chemise et nu-pieds, par un froid de 20 degrés, jusqu’à la gare du chemin de fer. Il grelottait de tous ses membres, ses dents claquaient, mais il ne cédait pas. Les gens qui s’arrêtaient sur son passage ne songeaient guère à rire de cet étrange accoutrement ; mais ils lançaient des regards d’indignation et de haine à ses bourreaux.

Un domestique, en courant, lui apporta ses vêtements à la gare. Il était à demi mort de froid.

« Habillez-vous donc ! lui dit le sous-officier.