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LES BRAVES GENS.

— Est-ce pour retourner chez moi ?

— Non !

— Je ne m’habillerai pas.

— Obstiné vieillard ! murmura le sous-officier à bout d’expédients. Mettez-le sur la machine. »

Le chauffeur se prit à ricaner en le voyant. Le mécanicien lui imposa silence. « De quoi ris-tu, imbécile ? lui dit-il. Voilà un homme, au moins. Ni toi, ni moi ne serions capables d’en faire autant que lui. »

M. Robillard s’évanouit. Il fallut bien se résigner à le faire descendre de la plate-forme. On l’enveloppa de couvertures et on l’emporta chez lui. Il fut si affreusement malade qu’il en pensa mourir. Quand le médecin permit à ses amis de le voir : « Je tousse, c’est vrai, dit-il, et l’on tousserait à moins ; mais, tout de même, je n’ai pas fait le voyage. » On ne lui proposa plus jamais de remonter sur la machine.

La gloire du père Robillard fut fatale au repos du mari de la belle Hermance. Comme on racontait devant elle la conduite du maire de la Chènevotte : « Voilà donc un homme ! » s’écria-t-elle avec enthousiasme.

Cinq minutes après, elle n’y pensait plus. Mais l’homme indécis y pensait, lui. Il se figura que sa femme avait voulu lui donner une leçon, et il chercha ce qu’il pourrait bien faire, lui aussi, afin d’être regardé comme un homme, et il résolut de souffrir aussi pour la bonne cause. Après bien des hésitations, il finit par concevoir, dans sa tête menue, le dessein hardi de quitter Châtillon, de traverser les lignes ennemies, et d’aller s’engager dans le premier régiment qu’il rencontrerait. Il aurait pu, s’il l’eût voulu, sortir de Châtillon sans grande difficulté ; mais comme son dessein n’était pas un dessein ordinaire, il crut devoir prendre toutes les précautions que lui suggéra son imagination, pour empêcher les Prussiens d’arrêter un défenseur de la patrie. Il se déguisa donc en paysan. Il avait si peu l’air d’un paysan avec ses lunettes, ses mains blanches et sa mine fleurie qu’il fut arrêté aux avant-postes et retenu quelque temps. Il réussit à s’échapper, ce dont il ne fut pas médiocrement fier. À la première ville où il rencontra des soldats, il s’enquit de la demeure du colonel, et fit si bien qu’il réussit à s’engager pour la campagne.

Il se figurait aller tout droit à la caserne et commencer, dès le jour même, à apprendre l’exercice. Aussi fut-il fort désappointé quand on lui donna une feuille de route pour rejoindre le dépôt à Oran. C’est là seulement qu’il pourrait se faire habiller et qu’il apprendrait l’exer-