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LES BRAVES GENS.

marquise en lui caressant la main comme celle d’un enfant qu’on veut calmer.

— Prisonnier ? lui demanda Defert aussitôt qu’elle put parler.

— Non, reprit la marquise. Il a été laissé pour mort. Quand on a mis en réquisition les gens de ce village pour enterrer les morts français, le marquis les a accompagnés et a emmené un médecin. Votre fils, quoique dangereusement blessé, respirait encore ; on a pu le rappeler à la vie : il est sauvé maintenant.

— Il est ici ? s’écria Mme  Defert en se levant. Oh ! laissez-moi l’embrasser.

— Oui, il est ici ; mais calmez-vous, chère madame, il faudra qu’il soit préparé à vous voir. Il est encore très-faible, et la moindre émotion peut être dangereuse. »

Mme  Defert consentit à se rasseoir.

Rassurée sur le compte de Jean, toutes ses inquiétudes se reportèrent sur Marthe.

« Et ma pauvre Marthe, qu’a-t-elle pu devenir au milieu de cette horrible guerre ! »

Le marquis sortit, et revint, cinq minutes après, accompagné d’une jeune servante.

« Voilà, dit la marquise, une jeune personne qui pourra vous donner des nouvelles. « Rien qu’à sa démarche, et sans voir son visage qui était encore caché dans l’ombre, Mme  Defert reconnut Marthe, qui se jeta dans ses bras et la couvrit de baisers.

Les premiers mots de Jean, lorsqu’il avait pu parler, avaient été pour demander sœur Agnès qui devait se trouver à Vendôme. Le marquis avait obtenu de la supérieure qu’elle vînt soigner son frère. Pour ne pas attirer l’attention, elle avait pris le costume d’une servante. C’est elle qui depuis trois semaines soignait le pauvre lieutenant. Marthe avait écrit plusieurs fois à sa mère, mais ses lettres s’étaient perdues en chemin. « Mon malade dort, dit-elle à sa mère, il ne faut pas risquer de le réveiller, il a si grand besoin de sommeil ! Il vaut mieux attendre à demain pour le voir. »

Le lendemain, la mère fut enfin admise à embrasser son enfant. Il était bien pâle et bien amaigri, mais qu’il était beau ! et comme elle le trouva transfiguré par l’héroïsme et la souffrance ! Il ne fallait pas songer à le transporter à Châtillon. D’ailleurs, tout le pays était en proie aux Allemands, qui l’auraient fait prisonnier. Comme il était