Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 68 —

même et à son intérêt propre ? Comment donc alors la première loi de tout être indistinctement sera-t-elle l’amour de lui-même ?

Que dirai-je donc ? Que, quand nous avons, au sujet des choses qui ne relèvent pas de notre libre arbitre, l’opinion absurde qu’elles sont des biens ou des maux, il nous faut de toute nécessité faire la cour aux tyrans. Et plût au ciel que ce ne fût qu’aux tyrans, et pas aussi à leurs valets de chambre ! Comment un homme devient-il tout-à-coup un génie, parce que César l’a préposé à ses pots de chambre ? Pourquoi disons-nous sur-le-champ : « Félicion m’a parlé en homme bien capable ? » Je voudrais qu’il fût précipité de dessus son tas d’immondices, pour que de nouveau tu ne visses en lui qu’un imbécile. Épaphrodite avait un cordonnier qu’il vendit parce qu’il n’était bon à rien. Le sort fit que cet homme fut acheté par une des créatures de César, et devint le cordonnier de César. As-tu vu en quelle estime le tint alors Épaphrodite ? « Comment va mon cher Félicion ? Oh ! que je t’aime ! » Et si quelqu’un de nous demandait : « Que fait Épaphrodite ? » On nous répondait qu’il était en conférence avec Félicion ! Ne l’avait-il donc pas vendu comme n’étant bon à rien ? Qu’est-ce qui en avait fait tout-à-coup un génie ? Voilà ce que c’est que d’attacher du prix à autre chose qu’à ce qui relève de notre libre arbitre.

Quelqu’un a-t-il obtenu le tribunat, tous ceux qui le rencontrent le félicitent. L’un lui baise les yeux, un autre le cou, et ses esclaves les mains. Il arrive dans sa maison : il y trouve tous les flambeaux allumés. Il monte alors au Capitole, et y