Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/136

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je me mets à craindre l’une d’entre elles, c’est moi qu’il menace. Quel est donc celui que je redouterai après cela ? Et de quoi donc sera-t-il maître ? De ce qui est à moi ? Personne ne l’est. De ce qui n’est pas à moi ? Est-ce que je m’en occupe ?

— Vous enseignez donc, philosophes, à mépriser les rois ? — À Dieu ne plaise ! Car qui de nous enseigne à leur disputer ce qui est en leur pouvoir ? Prends mon corps, prends ma fortune, prends ma réputation, prends les miens. Si je conseille à quelqu’un de s’attacher à ces objets, accuse-moi alors à bon droit. — Oui, mais je veux aussi commander à tes convictions. — Qu’est-ce qui t’en a donné le pouvoir ? Comment pourrais-tu triompher des convictions d’un autre ? — J’en triompherai bien, dis-tu, en lui faisant peur. — Ignores-tu que elles triomphent d’elles-mêmes, mais que personne ne triomphe d’elles. Nul ne peut triompher de notre libre arbitre, si ce n’est lui-même. C’est à cause de cela que Dieu a établi cette loi toute puissante et toute juste : « Que le plus fort l’emporte toujours sur le plus faible. » Dix sont plus forts qu’un seul. Mais quand il s’agit de quoi ? Quand il s’agit de garrotter, de tuer, d’entraîner de force où l’on veut, d’enlever aux gens ce qu’ils possèdent. Dix triomphent donc d’un seul sur le terrain où ils sont plus forts que lui. — Mais est-il un terrain où ils soient les plus faibles ? — Oui, celui des convictions, si les siennes sont fondées, et les leurs non ? — Quoi ! ils ne pourraient le vaincre sur ce terrain ? — Comment le pourraient-ils ? Si nous étions dans une balance, ne serait-ce pas forcément le plus lourd de nous deux qui enlèverait l’autre ?