Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/137

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— Socrate a-t-il bien pu être traité par les Athéniens comme il l’a été ? — Esclave ! que parles-tu de Socrate ? Dis la chose comme elle est : « Se peut-il que le corps de Socrate ait été conduit et traîné en prison par ceux qui étaient plus forts que lui ? Se peut-il qu’on ait donné de la ciguë à ce corps de Socrate, et qu’on l’ait ainsi fait mourir ? » Que trouves-tu là qui t’étonne ? Qu’y trouves-tu de contraire à la justice ? Vas-tu en faire des reproches à Dieu ? Est-ce que Socrate n’a rien eu en échange ? Où était à ses yeux le bien réel ? Qui écouterons-nous de toi ou de lui ? Et que dit-il ? « Anytus et Melitus peuvent me tuer, mais ils ne peuvent me faire de tort ; » et ailleurs : « Si cela plaît à Dieu, que cela se fasse. » Montre-nous, toi, que les convictions de mauvais aloi triomphent des convictions de bon aloi. Tu ne nous le montreras pas, tant s’en faut ! Car c’est la loi de la nature et de Dieu, que celui qui vaut le plus ait toujours le dessus sur celui qui vaut le moins. Mais le dessus en quoi ? Dans ce pourquoi il vaut le plus. Un corps est plus fort qu’un autre corps ; dix sont plus forts qu’un seul ; un voleur est plus fort que celui qui n’est pas voleur. J’ai perdu ma lampe, parce que, en fait de guet, le voleur vaut mieux que moi. Mais voici ce que lui a coûté ma lampe : pour une lampe, il est devenu voleur ; pour une lampe, malhonnête homme ; pour une lampe, une sorte de bête fauve. Et il a cru qu’il y gagnait !

— Soit ! mais quelqu’un me saisit par mon vêtement, et m’entraîne sur la place publique. Puis d’autres me crient : « Philosophe, de quoi t’ont servi tes principes ? Voici qu’on te traîne en prison !