Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/182

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crois-tu que ce ne serait pas là pour toi échanger avec perte une chose contre une autre ? Si, au lieu d’être un homme, un animal doux et sociable, tu devenais une bête fauve qui nuit, qui guette et qui déchire, n’y aurais-tu rien perdu ? Il faut peut-être que tu perdes ta bourse pour éprouver quelque dommage ; et il n’y a aucune autre chose dont la perte fasse tort à l’homme ! Si tu avais perdu tes connaissances en littérature ou en musique, tu croirais que c’est là une perte ; et, si tu perds ton honnêteté, ta modération, ta douceur, tu croiras que ce n’est rien ! Les premières, cependant, se perdent par des causes extérieures et indépendantes de notre libre arbitre, les autres par notre faute. En plus, il n’y a point de honte à ne pas avoir les premières ou à les perdre, tandis que c’est une honte, une tache, un malheur, que de ne pas avoir les autres ou de les perdre. Que perd celui qui se prête à des complaisances infâmes ? Son titre d’homme. Et celui pour qui il les a ? Bien des choses, et tout comme lui son titre d’homme. Que perd celui qui corrompt une femme mariée ? Il perd sa retenue, son empire sur lui-même, son honnêteté ; il tue en lui le citoyen et le voisin. Que perd celui qui se met en colère ? Quelque chose. Celui qui s’intimide ? Quelque chose. Car on ne peut être en faute sans perte et sans dommage.

Après cela, si tu ne comprends d’autre perte que celle de l’argent, tous ces gens n’ont éprouvé ni dommage ni perte, et, au besoin même, il y a eu pour eux gain et profit, quand l’argent leur est venu par de pareils actes. Fais attention seulement que, si l’on rapporte tout à la bourse, ce n’est pas