Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/199

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peut-être on a déjà fait trois campagnes. Je le sais bien. Et, quand tu es entré tout à l’heure chez moi, tu croyais bien n’avoir besoin de rien. Que pourrais-tu croire qui te manque en effet ? Tu es riche ; tu as peut-être une femme et des enfants, ainsi que de nombreux serviteurs ; César te connaît ; tu t’es fait à Rome de nombreux amis ; tu t’acquittes de ce que tu dois ; tu es en état de rendre le bien pour le bien, et le mal pour le mal. Que te manque-t-il encore ? Si donc je te montre qu’il te manque précisément ce qu’il y a de plus important et de plus essentiel pour le bonheur ; que, jusqu’ici, tu t’es occupé de toute chose plutôt que de ce dont tu dois t’occuper ; si j’ajoute, pour couronner le tout, que tu ignores ce que c’est que Dieu, ce que c’est que l’homme, ce que c’est que le bien, ce que c’est que le mal, peut-être me laisseras-tu te dire tout cela ; mais, quand je te dirai que tu ne te connais même pas toi-même, pourras-tu me supporter, souffrir que je te le prouve, rester là enfin ? Non ; tu t’en iras tout de suite, et furieux. Et cependant, quel tort t’aurai-je fait ? Aucun, à moins que le miroir ne fasse du tort aux gens laids, en les montrant à eux-mêmes tels qu’ils sont ; à moins qu’on ne trouve que le médecin insulte le malade, quand il lui dit: « Mon ami, tu crois ne rien avoir ! Tu as la fièvre. Fais diète aujourd’hui, et ne bois que de l’eau. » Personne ne lui dit alors : « Quelle insolence ! » Mais, si l’on dit à quelqu’un que ses appétits sont en feu, que ses craintes sont basses, que ses projets se contredisent, que ses volontés sont contre nature, ses opinions irréfléchies et fausses, il sort aussitôt en disant : « On m’a insulté. »