Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/208

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voir ? Les enfants pleurent, dès que leur nourrice les quitte tant soit peu ; mais qu’on leur donne une friandise, et les voilà qui l’oublient. — Veux-tu donc que nous ressemblions aux enfants ? — Non, par Jupiter ! car je ne veux pas que ce soit quelque friandise, mais la rectitude de nos jugements, qui produise sur nous cet effet. Quels sont donc les jugements droits ? Ceux que l’homme doit méditer tout le jour, pour ne s’attacher à rien de ce qui n’est pas à lui, ni à un ami, ni à un lieu, ni à un exercice, ni à son corps lui-même ; pour se souvenir de la loi, et l’avoir toujours devant les yeux. Quelle est donc la loi de Dieu ? Veiller sur ce qui est à nous, et ne pas désirer ce qui n’est pas à nous ; user de ce que l’on nous donne ; ne pas regretter ce qu’on ne nous donne pas ; rendre de nous-mêmes et sans difficulté ce que l’on nous enlève, en sachant gré du temps pendant lequel nous nous en sommes servis, à moins que nous ne voulions pleurer après notre nourrice et après le sein. Qu’importe, en effet, quel est ton maître et de qui tu dépends ! En quoi vaux-tu mieux que celui qui pleure pour une femme, si tu te désoles pour un gymnase, pour un portique, pour quelques jeunes gens, pour tout autre espèce de passe-temps ? Un tel nous arrive en pleurant, parce qu’il ne peut plus boire de l’eau de Dircé. Est-ce que l’eau de la fontaine Marcia vaut moins que celle de Dircé ? — Non ; mais j’avais l’habitude de celle-là. — Eh bien ! tu prendras l’habitude de celle-ci à son tour. Puis, quand tu t’y seras attaché, pleure aussi pour elle, et cherche à faire un vers dans le genre de ceux d’Euripide :

« Les thermes de Néron, la fontaine de Marcia ! »