Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/241

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conviens-tu que tu n’es pas un Sage? N’est-ce point, par Jupiter! parce que bien souvent les idées qui viennent de tes sens te mettent hors de toi, et te bouleversent; parce que bien souvent leurs apparences trompeuses triomphent de toi; parce que tu dis tantôt qu’une chose est bonne, tantôt qu’elle est mauvaise, tantôt qu’elle n’est ni l’un ni l’autre; en un mot, parce que tu te chagrines, t’épouvantes, prends de la jalousie, te déconcertes et changes; n’est-ce point pour tout cela que tu conviens que tu n’es pas un Sage? Eh bien! en amitié ne changes-tu donc jamais? Toi qui dis de la richesse, de la volupté, et de toutes les choses en général, tantôt qu’elles sont des biens, tantôt qu’elles sont des maux, ne dis-tu pas aussi du même individu tantôt qu’il est bon, tantôt qu’il est mauvais? N’as-tu pas pour lui tantôt de l’affection, tantôt de la haine, tantôt des louanges, tantôt du blâme? — Oui, c’est ce qui m’arrive. — Eh bien! quand on se trompe sur quelqu’un, crois-tu qu’on l’aime réellement?— Non pas.—Et celui qui n’a pris quelqu’un que pour le quitter bientôt, crois-tu qu’il lui appartienne de cœur? — Pas davantage. — Et celui qui tantôt vous accable d’injures, tantôt est en extase devant vous? — Pas davantage. — Eh bien! n’as-tu jamais vu de petits chiens jouer ensemble, et se caresser si bien que tu disais: « Il n’y a pas d’amitié plus vive? » Si tu veux pourtant savoir ce qu’est cette amitié, mets un morceau de viande entre eux, et tu verras. De même, mets entre ton fils et toi un lopin de terre, et tu verras que ton fils désirera vite t’enterrer, et que toi tu souhaiteras vite sa mort. Et tu diras alors: « Quel fils j’ai élevé! Il y a longtemps