Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/357

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combien d’affections on peut croire qu’il a eues dans Thèbes! Combien dans Argos! Combien dans Athènes! Combien ne s’en fit-il pas dans ses courses à travers le monde, lui qui prenait femme partout où l’occasion semblait s’en présenter à lui, et qui s’y donnait des enfants, qu’il quittait ensuite, sans pleurer, sans gémir, parce qu’il ne les laissait pas orphelins! Ne savait-il pas, en effet, que nul homme n’est orphelin, mais qu’il y a un père qui partout et toujours s’occupe d’eux tous? Car ce n’était pas comme un vain mot, qu’il avait entendu dire que Jupiter était le père de tous les hommes; il le croyait et l’appelait son père, et c’était les yeux fixés sur lui, qu’il faisait tout ce qu’il faisait. Aussi pouvait-il vivre heureux partout. Mais jamais ne peuvent se trouver ensemble le bonheur et le désir de ce que l’on n’a pas. Celui qui est heureux doit avoir tout ce qu’il désire; il doit ressembler à un homme repu; ni la soif, ni la faim ne doivent se trouver en lui. — « Mais Ulysse regrettait son épouse, et pleurait assis sur une pierre! » — Suis-tu donc Homère en toute chose, et jusque dans ses fables? D’ailleurs, si Ulysse a réellement pleuré, que peut-on en dire, sinon qu’il était malheureux? Or, quel est le Sage qui est malheureux? Ce monde est réellement mal gouverné, si Jupiter n’y veille pas sur ses concitoyens, pour qu’ils soient heureux semblablement à lui; et une telle supposition ne peut s’admettre sans injustice et sans impiété. Si Ulysse pleurait et gémissait, ce n’était pas un sage. Qui est sage en effet, sans savoir ce qu’il est? Et qui peut savoir ce qu’il est, sans se rappeler que tout ce qui est né doit périr, et que les hommes ne peuvent