Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/400

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leur citadelle: il faut, pour cela, renoncer à son corps avec toutes ses parties et toutes ses facultés; renoncer à la fortune, à la gloire, aux dignités, aux honneurs, à ses enfants, à ses frères; se dire qu’il n’y a rien là qui soit à nous. Mais, une fois que j’ai ainsi chassé de mon âme ses tyrans, que me servirait encore, à moi du moins, de renverser les citadelles de pierre? Car, debout, quel mal me font-elles? A quoi bon chasser les gardes du tyran? En quoi m’aperçois-je de leur existence? C’est contre d’autres qu’ils ont ces faisceaux, ces lances et ces épées. Jamais je n’ai été empêché de faire ce que je voulais, ni contraint à faire ce que je ne voulais pas. Et comment y ai-je pu arriver? J’ai subordonné ma volonté à celle de Dieu. Veut-il que j’aie la fièvre? Moi aussi je le veux. Veut-il que j’entre prenne quelque chose? Moi aussi je le veux. Veut-il que je désire? Moi aussi je le veux. Veut-il que quelque chose m’arrive? Moi aussi je le veux. Ne le veut-il pas? Je ne le veux pas. Veut-il que je meure? Veut-il que je sois torturé? Je veux mourir; je veux être torturé. Qu’est-ce qui peut alors m’entraver ou me forcer contrairement à ce qui me semble bon? On ne le peut pas plus pour moi que pour Jupiter.

Ainsi font ceux qui veulent voyager en sûreté. Apprend-on qu’il y a des voleurs sur la route, on n’ose pas partir seul. Mais on attend qu’un lieutenant, qu’un questeur ou qu’un proconsul fassent le même voyage; on se met à leur suite, et l’on fait la route en sûreté.

Ainsi fait le Sage dans le monde. « Nombreux, (se dit-il), sont les voleurs, les tyrans, les tem-