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LE RÉFECTOIRE

disais-je, ne ronge que le point en face de sa tête. Il y a donc de non brouté d’abord toute l’étendue que chacune d’elles recouvre de son corps, et puis la partie antérieure de la feuille, laissée libre. La première rangée de chenilles s’avance à la fois d’un pas et trouve ainsi sur la partie libre une seconde ration ; mais, en même temps, elle laisse à découvert en arrière une bande d’un pas de largeur, que le second rang vient brouter en avançant, tandis qu’il abandonne à la troisième rangée une bande semblable, et ainsi de suite. Un pas en avant pour la troupe entière met donc chaque rang en possession de la bande laissée à découvert par le rang qui précède. Quant à la rangée ouvrant la marche, elle pâture petit à petit la partie antérieure de la feuille, non occupée à dessein au début. Lorsque, pas à pas, le bout de la feuille est atteint, chaque chenille a rongé une bande de la longueur et de la largeur de son corps. Le premier repas est alors fini. Vous le voyez, avec de l’ordre et de l’économie, une centaine et plus de chenilles ont place toutes au réfectoire sur le dos d’une feuille, et toutes ont ration parfaitement égale, comme guidées par la mesure et le poids.

Jules. — La bête, avec ses instincts, est bien admirable, mon oncle ; c’est chaque jour de nouvelles surprises.

Paul. — Ce n’est pas l’animal qu’il faut admirer, mon cher enfant ; les merveilles qu’il accomplit ne sont pas le fruit de ses réflexions. Un vermisseau traînant la coque de son œuf ne peut avoir des idées sur l’ordre, l’économie, l’association, quand, pour les posséder, l’homme a besoin de toute la maturité