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LA CULTURE

amélioré par les soins incessants de l’homme ; sa tige s’est affermie ; ses feuilles, devenues plus nombreuses, se sont emboîtées, blanches et tendres, en tête serrée ; et le chou pommé a été le résultat final de cette magnifique métamorphose. Voilà bien, sur le roc de la falaise, le point de départ de la précieuse plante ; voici, dans nos jardins potagers, son point d’arrivée. Mais où sont les formes intermédiaires qui, à travers les siècles, ont graduellement amené l’espèce aux caractères actuels ? Ces formes étaient des pas en avant. Il fallait les conserver, les empêcher de rétrograder, les multiplier et tenter sur elles de nouvelles améliorations. Tout compte fait, la conquête du chou pommé a certainement dépensé plus d’activité que la conquête d’un empire.

Quel est cet autre, au bord d’une mare, en compagnie des grenouilles ? — C’est le céleri sauvage. Il est tout vert, dur et d’une saveur repoussante. L’imprudent qui en mangerait en salade périrait empoisonné. Quel est donc l’audacieux qui s’avisa d’introduire cette plante vénéneuse dans son jardin, dans l’espoir de la civiliser et d’en tirer parti ? — Encore un bienfaiteur dont le souvenir s’est perdu dans les nuées du temps. Toujours est-il que, sous l’influence d’une éducation bien entendue, le céleri a renoncé au poison pour prendre des côtes blanches, tendres, pleines d’un liquide sucré. Je vous laisse à penser tout ce qu’il a fallu de soins et de peine pour obtenir un pareil changement. Dissuader une plante de distiller du poison et lui faire produire du sucre à la place, c’est un chef-d’œuvre d’adresse de la part de l’homme.