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LES RAVAGEURS

Et le poirier sauvage, le connaissez-vous ? C’est un affreux buisson, armé de féroces épines. Les poires, toutes petites, âpres, dures, semblent pétries de grains de gravier. Ô le détestable fruit, qui vous serre la gorge et vous agace les dents. Certes celui-là eut besoin d’une rare inspiration qui le premier eut foi dans l’arbuste revêche et entrevit, dans un avenir éloigné, la poire beurrée que nous mangeons aujourd’hui. Avec le temps et des soins, la miraculeuse modification s’est faite. Le sauvageon s’est civilisé, il a perdu ses épines et remplacé ses mauvais petits fruits par des poires à chair fondante et parfumée.

La betterave primitive végète dans les sables au bord de la mer, et la carotte sauvage est fréquente dans tous les champs abandonnés. Ni l’une ni l’autre ne possèdent à l’état de nature la puissante racine charnue que vous savez. Leur racine est un maigre pivot de la grosseur d’une plume, assez long, il est vrai, mais dépourvu de chair et de matière sucrée. Rien, absolument rien ne peut faire soupçonner, à des yeux non exercés, la parenté qu’il y a entre ces misérables queues de rat et les racines dodues de la carotte et de la betterave cultivées. Par son travail, l’homme a transformé, dans la betterave sauvage, un cordon de filasse aride en une énorme racine juteuse toute confite de sucre ; il est parvenu à remplacer la maigre queue de rat de la carotte inculte par une superbe racine dorée de la grosseur du bras.

De même, avec la grappe de la vigne primitive, la lambrusque, dont les grains ne dépassent pas en volume les baies du sureau, l’homme, à la sueur du