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LES RAVAGEURS

Émile. — La plante qui lève se nourrit donc de farine ?

Paul. — Non : c’est trop grossier pour elle. La plante ne se nourrit pas à notre manière ; elle s’imbibe d’eau où se trouvent dissoutes, fondues, les substances propres à son alimentation. Mais la farine ne peut se fondre dans l’eau, vous le savez bien ; par conséquent la petite plante périrait de faim à côté de sa provision de vivres, si la farine n’était pas préparée d’une façon convenable, volontiers je dirais cuisinée.

Émile. — Ce doit être curieux, la cuisine d’un brin d’herbe.

Paul. — Plus merveilleux que vous ne pourriez le penser. Pendant que le brin d’herbe lève, la farine du grain devient du sucre, du vrai sucre, très doux, facile à se fondre dans l’eau ; de façon que la jeune plante pour se nourrir boit de l’eau sucrée, ou pour mieux dire une espèce de lait.

Émile. — Tiens, c’est vrai ; maintenant j’y songe. À la Noël, mère Ambroisine avait mis du blé germer dans une assiette en le tenant mouillé, sur la cheminée. Quand la feuille apparut, le grain était mou et s’écrasait sous les doigts. Il en sortait une espèce de lait très doux.

Paul. — L’homme utilise cet admirable changement de la farine en sucre pendant la germination pour fabriquer la bière. Il fait germer de l’orge. Quand il juge que toute la matière farineuse est devenue sucre, il fait vite mourir la plante, sinon le liquide sucré s’infiltrerait dans la jeune pousse et deviendrait de l’herbe par une nouvelle transforma-