La lumière avait disparu à la fenêtre du major, le pharmacien éteignit enfin la sienne, nous rampons en dehors du fourré, examinons les alentours, prévenons les hommes qui se glissent le long des murs, ne rencontrent pas de sentinelles sur leur route, se font la courte-échelle et sautent dans la campagne. Une heure après ils étaient de retour, chargés de victuailles ; ils nous les passent, rentrent avec nous dans le dortoir ; nous supprimons les deux veilleuses, allumons des bouts de bougie par terre, et autour de mon lit, en chemise, nous formons le cercle. Nous avions absorbé trois ou quatre litres et dépecé la bonne moitié d’un gigotin, quand un énorme bruit de bottes se fait entendre ; je souffle les bouts de bougie à coups de savate, chacun se sauve sous les lits. La porte s’ouvre, le major paraît, pousse un formidable Nom de Dieu ! trébuche dans l’obscurité, sort et revient avec un falot et l’inévitable cortège des infirmiers. Je profite du moment de répit pour faire disparaître les reliefs du festin ; le major traverse au pas accéléré le dortoir, sacrant, menaçant de nous faire tous empoigner et coller au bloc.
Nous nous tordons de rire sous nos couvertures, des fanfares éclatent à l’autre bout du dortoir. Le major nous met tous à la diète, puis il s’en va, nous prévenant que nous connaîtrons dans quelques instants le bois dont il se chauffe.
Une fois parti nous nous esclaffons à qui mieux mieux ; des roulements, des fusées de rire grondent et pétillent ; le clairon fait la roue dans le dortoir, un de ses amis lui fait vis-à-vis, un troisième saute sur sa couche comme sur un tremplin et bondit et rebondit, les bras flottants, la chemise envolée ; son voisin