Page:Les Soirées de Médan.djvu/172

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volontés en armes étaient immobilisées par son hésitation, paralysées par ses défiances, et la garde nationale inutile derrière des fortifications où elle mourait d’ennui dans l’impatience et le désœuvrement. Les accusations défilaient serrées et terribles, un réquisitoire indigné et moqueur qu’elle détaillait avec une petite voix aigre-douce, tranquillement. À mesure qu’elle parlait, comme si elle se lassait elle-même, elle avait abandonné ses gestes d’autorité, et ses doigts, dégantés, jouaient avec ses bagues qu’elle faisait passer de l’une à l’autre main, avec un petit travail de dextérité très délicat. Elle en vint à lui reprocher la mort des soldats tombés dans les escarmouches, les combats sérieux qu’elle qualifia de boucheries organisées, les pauvres mobiles qu’elle voyait dans les hôpitaux saigner dans les pansements et crier sous l’acier des opérations. Même, elle l’accusa comme d’un crime personnel de la mort d’un jeune capitaine d’état-major, tué lors de la dernière affaire. Elle le connaissait, ils s’étaient rencontrés, très souvent, dans le monde.

— Un de tes amants, sans doute ?

Jusque-là il n’avait rien dit, baissant la tête, rageant au dedans de lui devant ces récriminations brutales, dont, intimement, il sentait la justesse.

— Quand ce serait, répondit-elle, effrontément.

— Au fait, ça ne l’étonnait pas ! avec qui n’avait-elle pas couché ? Son lit était une vraie guérite dont on relevait les sentinelles toutes les heures. Alors éclatant en mots furieux, donnant libre cours à l’amertume de son cœur, un à un, il lui nommait ses amants. Il y en avait de toutes les armes : des cavaliers, des fantassins, des artilleurs, et jusqu’à des soldats de la