Page:Les Soirées de Médan.djvu/187

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sait désirable pour le spectacle de la mort, promenait autour des lits empuantis et criants dans l’angoisse des agonies, l’éclair de ses diamants, le froufrou de ses dentelles, et les soldats expiraient, remerciant avec des paroles confuses et des balbutiements les tendresses de cette infirmière extraordinaire qui mettait dans leurs derniers moments toute la séduction d’une femme, tous les petits soins d’une garde-malade dévouée. Elle adoucissait les agonies, encourageait les convalescences. Point bégueule, elle retrouvait au milieu de ces hommes ces familiarités que les femmes du peuple ont naturellement pour les malades. Elle les appelait, « mon vieux, ma vieille », gourmandait leurs défaillances avec des mots crus, des épiphonèmes gras où perçaient de grosses bienveillances ; et les douleurs des pansements disparaissaient, emportées qu’elles étaient par les paroles canaillement câlines de son bagou d’ancienne modiste farceuse.

Fille des faubourgs, dans ce milieu d’ouvriers récemment enrôlés, elle respirait comme un relent de son air natal apporté là, par hasard, dans les vêtements, les habitudes, les conversations ; elle renaissait à sa vie d’ouvrière lâchée, se frottant aux hommes dans la promenade des nocturnes faubourgs ou les quadrilles des bastringues populaciers, et, très à l’aise, elle traitait d’égale à égal. Elle leur payait des liqueurs, du tabac, trinquait, fumait les cigarettes qu’ils lui offraient, volontiers. Même elle les tutoyait comme des camarades. Souvent aussi sa sympathie les suivait au delà de l’hôpital, les accompagnait après leur guérison, dans les tranchées des ouvrages avancés, dans les grand’gardes qui surveillaient l’ennemi.

Plus d’une fois, les officiers supérieurs avaient eu