Page:Les Soirées de Médan.djvu/192

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gny à Bagneux, les imaginations militaires déréglées par de vieux souvenirs de romans-feuilletons, s’ingéniaient à la comparer à quelque héroïne des temps passés, à quelque Jeanne d’Arc ou Jeanne Hachette, venue au milieu des camps pour exciter les courages et assurer la victoire.

Les journaux aussi parlèrent de Mme  de Pahauën. Ils évoquèrent autour de son désœuvrement les souvenirs des femmes romaines, les dévouements des épouses de Lacédémone ; un poète l’appela : l’Ange des avant-postes, et bien qu’au fond, les moins clairvoyants lui soupçonnassent quelque liaison amoureuse, bien que les sceptiques ne dissimulassent guère qu’elle étalait simplement une honte éclatante, son laisser-aller, sa bonhommie, sa blague avec les soldats, les rations de vin qu’elle faisait distribuer par-ci par-là, en supplément, lui gagnaient tous les cœurs. Des vivats souvent accompagnaient sa voiture au départ, et la mode de l’époque étant à l’exaltation des individus nés dans les provinces envahies, la garde nationale, se mêlant au concert de bénédictions qui montait des avant-postes et des forts, l’admirait comme une grande dame alsacienne. On en causait le long des remparts. La plupart ne doutaient pas qu’au jour de la bataille elle irait au feu, carrément, comme un homme. Du reste, il n’y avait pas à contester son tempérament guerrier et ses qualités militaires. On avait pu la voir, un jour, grimpant hardiment le long des talus des bastions, sans demander le bras de personne, et près des pièces de canon qui tendaient leur cou de bronze dans la fente gazonnée des embrasures, longuement, elle s’était fait expliquer par les servants les détails de la manœuvre,