Page:Les Soirées de Médan.djvu/205

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catement étranges dont elle avait fait la fortune et amené le succès, semblaient avoir perdu toute leur jeunesse et toute leur fraîcheur. Les rubans flottaient mous, sans éclat, avec des cassures de rubans fanés ; les traînes sur les trottoirs ondulaient avec un froufrou mélancolique et fatigué, et les failles, les satins, les cachemires, tout le coûteux falbala apporté avec soin dans le papier de soie des malles, semblait, sous le ciel de Versailles, le déballage misérable d’une maison de confection vendue après faillite.

En même temps que sa toilette, Mme de Pahauën vieillissait : son âge apparaissait avec ses rides. Là, dans sa chambre d’hôtel, elle n’avait plus ces crayons, ces dentifrices, ces fards, ces poudres de riz, cette pharmacie d’ingrédients avec lesquels, tous les matins, une heure et demie durant, elle rechampissait ses charmes et consolidait sa beauté. Depuis longtemps le carmin dont elle se teignait les lèvres diminuait dans sa boîte, et, quotidiennement, elle l’économisait, faisant des prodiges d’invention pour se conserver longtemps encore le peu qui restait, épouvantée du jour de plus en plus proche où sa bouche éclaterait dans toute l’horreur de sa flétrissure, et où son sourire, derrière des lèvres gercées, découvrirait des dents jaunissantes et point poncées. Pourtant, c’était aujourd’hui son unique satisfaction : s’habiller.

Désœuvrée, rongée d’ennui, perdue d’inquiétudes, dérangée par des remords vagues, elle essayait de combattre la persistance de ses spleens par des ajustements de toilettes compliquées. Longuement elle se tenait devant sa glace étroite, un peu haussée sur la pointe de ses bottines, afin de se voir par-dessus le globe de verre dominant la pendule sur la cheminée.