Page:Les Soirées de Médan.djvu/207

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gnoir, désespérée, elle attendit. Qui sait ? peut-être un jour la fortune des armes lui serait-elle favorable, peut-être à la fin, Paris vainqueur lui ouvrirait-il ses portes ? Et prise d’un accès de dévotion, elle pria, demandant à Dieu avec ferveur de donner aux Français une victoire qui lui rendrait sa tranquillité à elle, ses domestiques, son hôtel, et son train de maison, et son luxe ancien.

Mais la victoire était lente à venir pour les armes françaises. Chaque combat livré n’amenait que des défaites. Mme  de Pahauën, navrée jusques au fond du cœur, frémissait de colère, quand, sous ses fenêtres, les Allemands défilaient avec des hurrahs répétés, célébrant leurs succès. L’hiver s’allongeait désespérément rude. Là bas, Paris, tenace dans la défaite, luttait toujours, et les nuits étaient pleines du sourd grondement de ses canons acharnés. Oh ! comme elle l’aimait maintenant ce Paris lointain et terrible. C’était vers lui que convergeaient toutes ses espérances, et les dernières joies de la vieille courtisane étaient quand il emplissait l’horizon du fracas de ses forts et du tonnerre de ses remparts. À chaque bordée elle s’imaginait qu’un chemin allait s’ouvrir tout large, par lequel elle pourrait rentrer, et dans le craquement des mitrailleuses et les détonations stridentes des feux de peloton, elle imaginait des luttes définitives qui allaient décider de la France et changer la face des choses. La nuit venait, mettait sur ces journées d’angoisse la tristesse de ses ténèbres, la monotonie de sa neige, et rien n’arrivait. Dans la rue, les clairons prussiens sonnaient toujours la mélodie mélancolisante de la retraite, invariablement. Des régiments passaient, jouant les singulières et sourdes