Page:Les Soirées de Médan.djvu/211

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dans le bleu livide d’une aurore d’hiver, tiraient à longs intervalles. Et leurs salves semblaient sonner le glas funèbre de Paris à l’agonie.

Paris, c’était maintenant l’obsession permanente de Mme  de Pahauën. Elle le sentait à l’horizon, elle avait pour la ville immense les tendresses que, dans l’éloignement, on éprouve pour les personnes gravement malades. Un jour même, elle n’y tint plus, elle voulut le revoir, se mit en marche. Longtemps elle erra, repoussée par les sentinelles, chassée par toutes les consignes. Elle allait, errant sur les collines, à travers les bois dépouillés, glissant sur les restes de neige sans parvenir à apercevoir ce Paris colossal qui semblait se refuser. Pourtant, un instant, sur les hauteurs qui dominent Meudon, elle s’arrêta. À travers l’entre-croisement des branches qui mettaient sur le ciel des dessins fins et déliés comme des traits d’eau-forte, dans une courte échappée, la ville lui apparut.

Il était quatre heures du soir, la nuit était déjà venue. L’ombre autour s’épaississait, et Paris, confondu avec les ténèbres, n’était qu’un tas énorme d’obscurité. Mme  de Pahauën tressaillit. À peine si elle le reconnaissait, dans cette masse noire étagée, là-bas, au fond du grand trou creusé entre les collines. Ce n’était plus le Paris illuminé et féerique, qui, le soir des promenades d’été, était aperçu à l’horizon, débordant de lumière et de vie, poussant vers le ciel plein d’étoiles le souffle de ses poumons, le murmure de ses rues, et dont les innombrables becs de gaz semblaient mettre sur la terre le reflet de tous les astres du firmament. Maintenant la buée rouge qui flottait au-dessus de lui avait disparu. L’activité paraissait avoir abandonné