Page:Les Soirées de Médan.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

papier eut cessé, au moment de sortir, le lieutenant se retourna.

— Les Prussiens sont à vingt lieues d’ici, annonça-t-il ; le commandant de place compte que chacun fera son devoir.

On ne crut point à la nouvelle. Alors, au milieu du silence froid qui l’accueillit, l’extinction des feux éclata bruyamment dans la cour de la caserne. Depuis l’invasion, elle avait lieu à huit heures et demie. Ce fut comme un avertissement sonore et tranquille qui parla d’abord. Deux notes se répétèrent trois fois, continuées par une phrase mélancolique, saisissante. Le clairon les avait chantées aux longues soirées d’août, maintenant elles appartenaient à l’obscurité hâve des crépuscules de l’automne. L’avertissement recommença, puis la même phrase triste, et elle s’éteignit en gémissant.

À la porte, le lieutenant s’était arrêté.

« Tiens ! disait-il, une aurore boréale ! Regardez donc, Briottet.

— Oh ! superbe, mon lieutenant, superbe ! avait répondu le sergent-major.

La porte fermée, un murmure s’était éloigné en s’affaiblissant.

Deux minutes après, toute la chambrée accourait se ranger dans la cour, former un tas presque paisible où la blancheur de quelques chemises détonnait.

— Bagasse ! fit un Marseillais.

Les camarades se contentèrent de regarder. Devant eux, en face du vide régulier produit par trois immenses corps de logis ouverts, du côté du nord, comme une gueule, dans le ciel, une nappe incandescente