Page:Les Soirées de Médan.djvu/244

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— On lui a chapardé son sabre, dit Verdier… Pourvu qu’il se soit défendu !

— Oh ! il doit y avoir quelqu’un de salé à cette heure, répliqua Sauvageot.

Et l’on éprouva le besoin de s’expliquer l’événement. Chacun inventait une histoire, la commentait, cherchait des probabilités. Selon les uns, Joliot avait dû se battre avec des artilleurs. Rien d’étonnant, on ne s’aimait guère ; le caboulot de la mère Mathis avait vu plus d’une dispute. Selon les autres, Joliot devait avoir été blessé sur les bastions, par une sentinelle trop empressée à suivre la consigne. Néanmoins, l’opinion de Verdier prévalut : Joliot avait eu affaire à des bourgeois, sa blessure sentant le revolver, la poudre qui la noircissait indiquant un coup tiré à bout portant. Et il ajoutait :

— D’ailleurs depuis la guerre, tous ces salops ont une telle veinette qu’ils se baladent avec des pistolets plein leurs poches.

— N’empêche ! fit Sauvageot, il faudra voir… Gare aux arsouilles qui ont fait les malins ! Il ne sera pas dit qu’on aura touché comme ça au bataillon.

Les visages se rembrunirent ; et brusquement l’esprit de corps envahit ces gens énervés par le malheur d’un camarade, bon garçon, loustic aimable, étendu là, mourant, dans un uniforme que tous portaient. Des fureurs se mirent à gronder, et elles s’amassèrent au milieu de certains silences, dans l’attente impatientée de ce chirurgien-major qui n’arrivait pas. On allait jeter un coup d’œil sur Joliot, et l’on revenait en murmurant :

— Non, il ne sera pas dit qu’on aura touché comme ça au bataillon.