Page:Les Soirées de Médan.djvu/253

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vages. Une longue file de pantalons garance partait de la caserne, courait vers le 7, où elle s’engouffrait sous la porte ouverte, entraînée par une force irrésistible. Et à tout moment, parmi le fracas déchaîné, zébrant la lueur factice, malgré les heurts de la course, des canons de fusils s’élevaient, soufflaient dans la même direction une mince flamme rouge. On rechargeait, et l’on n’avait pas perdu son temps. Des fumées blanchâtres, au-dessus du ruban d’hommes, restaient d’abord suspendues à la même place, puis elles montaient, tachant les clartés du ciel.

Quant au grand 7, il paraissait calme sous son toit neuf à peine crevé çà et là, où la nuit flambante se mirait comme dans une pièce d’eau. Mais bientôt la file qui l’envahissait s’arrêta, et elle eut un mouvement de recul. La maison bondée de monde rendait gorge. Un sourd murmure s’éleva, dominé par un cri : « C’est plein ! c’est plein ! » Il remonta jusqu’à la grille de la caserne. Alors on se tassa ; tous hurlaient : « À mort ! » Un clairon sonna la charge. Une clameur lui répondit, clameur de rage et d’impuissance concentrées ! La foule ondulait, hachée de lames brillantes ; elle parut s’assoupir, puis une fusillade l’embrasa encore, s’acharnant de nouveau contre le toit de la maison. Une partie de la place était déserte ; l’autre avait des bouillonnements de cloaque, et le tumulte faisait un lourd ensemble monotone derrière la chanson sèche de la fusillade.

Par la rue qui filait vers les remparts, tout à coup une rumeur se joignit à celle de la place. Les artilleurs venaient d’apprendre l’assassinat de Joliot, et ils accouraient à leur tour. Leurs souliers claquaient sur