Page:Les Soirées de Médan.djvu/267

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ou pénible, physique ou morale, d’une façon excessive. Un mince cache-nez, noir, de laine très fine, était noué autour de son cou. Bleuies par le froid, ses jolies mains qui, à l’ordinaire, étaient sans doute très blanches, avaient des engelures aux doigts comme celles d’un enfant. Bien qu’il eût vingt-huit ans sonnés, il n’en paraissait pas vingt. Il portait sa moustache naissante. De rares poils de barbe blonde, qu’il n’avait pas dû raser depuis trois mois, couvraient un menton un peu long, au bas des joues blêmes, pâlies encore par la perte de sang. Sa capote, son pantalon rouge, la guêtre et le soulier chaussant son pied resté valide, tout cela se trouvait trop large. Malgré ces délicates apparences, le jeune blessé n’avait pas jeté son sac, dont le poids écrasait ses chétives épaules. Et tant bien que mal, sautant sur un pied plutôt qu’il ne marchait, s’arrêtant tous les deux ou trois sauts pour ramasser à nouveau ses forces, il avançait toujours. Mais il arriva un moment où, malgré l’énergie de sa volonté, il lui fut impossible d’aller plus loin. Il n’eut que le temps de gagner au bord de la route une borne, au pied de laquelle il laissa choir son sac et il s’assit sur le sac. Maintenant la nuit était noire, le brouillard plus épais. Le dos appuyé à la borne, il écouta. Plus rien. Pas un bruit humain ; pas même un aboiement lointain de chien, ni un cri de chouette ; à se croire au fond d’un désert, et d’un désert ne contenant pas une bête vivante ! Il appliqua l’oreille contre le sol. Alors, tout là-bas, quelque part au fond du brouillard, un très lointain grondement. Le canon tonnait encore.

Qu’est-ce que ça lui faisait, maintenant, que la bataille continuât et que l’armée française fût, ou non,