Page:Les Soirées de Médan.djvu/298

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— Je vois que c’est moi ! Il ne faut pas m’en vouloir, vous savez… Nous ne sommes pas dans des circonstances ordinaires.

Elle lui tendit la main. Il ne se retournait même pas.

— Voyez ! je suis là… Je viens vous tendre la main, vous demander pardon…

Cette main, Gabriel la pressait. Et, incapable de dire un mot, se contenant pour ne pas sangloter, il la porta à ses lèvres. Édith la lui abandonnait, avec la sérénité d’une conscience qui vient de réparer un tort.

Maintenant, au contraire, elle se sentait pleine d’abnégation, d’humilité chrétienne. Lors de l’enrôlement de M. de Plémoran, n’avait-elle pas songé à partir, elle aussi, comme ambulancière ? L’étrange ambulancière qu’elle eût fait, si, sous la croix de Genève, elle ne s’était pas dépouillée de ses fiertés de fille noble. « À la guerre, comme à la guerre. » Rien que pour voir, elle allait jouer un peu à la sœur de Charité.

Elle voulut absolument lui panser sa blessure. Gabriel résistait. Il ne souffrait plus, sa parole d’honneur ! Ce n’était vraiment pas la peine : le bandage de son pied était très suffisant. Pour sûr, la balle était sortie : rien que du repos suffirait à le guérir. Mais elle, ne voulait pas « se payer de mots ». La vue, en tout cas, ne pouvait lui faire de mal, et elle tenait à voir ! Elle fit valoir à plusieurs reprises l’argument : « Si la gangrène allait s’y mettre… » Pourtant tout restait inutile ; le Breton s’entêta. Mille morts plutôt que d’écœurer la jeune femme par l’étalage de ses loques rougies, de sa plaie à vif, de son pied souillé