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L’ATTAQUE DU MOULIN

Elle voulut protester encore. Elle s’agenouilla, elle joignit les mains. L’officier, tranquillement, assistait à cette lutte douloureuse.

— Mon Dieu ! finit-il par dire, je prends votre père, parce que je ne tiens plus l’autre… Tâchez de retrouver l’autre, et votre père sera libre.

Un moment, elle le regarda, les yeux agrandis par l’atrocité de cette proposition.

— C’est horrible, murmura-t-elle. Où voulez-vous que je retrouve Dominique, à cette heure ? Il est parti, je ne sais plus.

— Enfin, choisissez. Lui ou votre père.

— Oh ! mon Dieu ! est-ce que je puis choisir ? Mais je saurais où est Dominique, que je ne pourrais pas choisir !… C’est mon cœur que vous coupez… J’aimerais mieux mourir tout de suite. Oui, ce serait plus tôt fait. Tuez-moi, je vous en prie, tuez-moi…

Cette scène de désespoir et de larmes finissait par impatienter l’officier. Il s’écria :

— En voilà assez ! Je veux être bon, je consens à vous donner deux heures… Si, dans deux heures, votre amoureux n’est pas là, votre père payera pour lui.

Et il fit conduire le père Merlier dans la chambre qui avait servi de prison à Dominique. Le vieux demanda du tabac et se mit à fumer. Sur son visage impassible on ne lisait aucune émotion. Seulement, quand il fut seul, tout en fumant, il pleura deux grosses larmes qui coulèrent lentement sur ses joues. Sa pauvre et chère enfant, comme elle souffrait !

Françoise était restée au milieu de la cour. Des soldats prussiens passaient en riant. Certains lui jetaient des mots, des plaisanteries qu’elle ne comprenait pas.