Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/37

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Ciselee en mon coeur, je fendrois irrité
Ma poictrine innocente, & en ma derniere heure :
J'avancerois le temps ordonné que je meure :
Puis la peur d'offencer & perdre la douceur
De l'espoir que l'amour m'offre en tant de rigueur,
Vient arrester ma main, & veut qu'encor je vive
Pour servir la beauté dont mon ame captive
Espere son bonheur, attendant que le sort
Me presente mon bien, & que dessous l'effort
Des effaits du trespas toute ma peine cesse,
Et que perdant le jour je perde ma tristesse,
S'il est vray qu'en la mort jouissant de la paix
Qu'on pense estre là bas, on ne ressent jamais
Les flammes de l'amour : mais qui le pourroit croire,
Veu qu'esteindre on ne peut de l'amour la memoire.
Hé que feray-je donc ce pendant que vivant
Sous les forces d’amour vainement poursuivant
Une fortune aveugle, iray-je loing du monde
Joindre avec tant de maux une peine seconde ?
Non ! car les cieux des bois, ni les vastes deserts
Ne destournent le soing ni les pensers divers
Qu'on couve dans le sang, que me faut-il donc faire
Pour me rendre propice un destin si contraire,
Pour à tant de douleurs trouver allegement,
Pour destourner l'horreur de mon cruel tourment ?
Il ne faut point fuir, il ne faut miserable
Chercher des lieux cachez l'effroy espouvantable,
Il faut chercher les yeux, la beauté, les cheveux
Dont les chastes rayons & la force & les nœuds,
Ont tiré & contraint, & doucement lassee,
Par feux, attraits, liens, l’œil le cœur la pensee.