Page:Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589.djvu/74

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Que tourne tant le ciel pour mes tristes journees,
Puis qu'il ne change point mes fieres destinees ?
Ha ! faut il encor', faut il souspirer l'air,
Faut il sentir son ame, & encores l'aymer,
Non il faut tout hair, & mesme ce qu'on ayme
S'il se peut, puis qu'ainsi on ne s'ayme soy-mesme :
Que donques à jamais je deteste l'amour,
Que je cherche la nuit, que j'abhorre le jour,
Et encor s'il se peut qu'en ces plaintes funebres
Afin de n'aymer rien je haye les tenebres :
Que je sois à mon ame ennemy si mortel,
Que je la gesne en moy d'un despit eternel :
Et que pour achever le comble de ma peine
Que je sois sans espoir comme une image vaine,
Insensible, sans vie, & sans contentement
Autre que la douleur de mon fascheux tourment :
Puis en tombant soudain, d'une grande blessure
Je termine ma vie & ma triste aventure.
Mais quel œil me retient, quelle belle clarté
A mon inique bras doucement arresté ?
Que Soleil est cecy qui veut qu'encor je vive
Et que vivant de luy mes destins je poursuyve ?
Ha c'est l’œil que j'adore, ha ! c'est luy, je le vois,
Mon ame le sçay bien, à son feu je cognois
La force, & la douceur, dont la fleur de ma vie
Par mille heureux souspirs a esté recueillie.
Je sors donc de ce trouble en reprenant l'espoir,
Ais pris que dans mon sang je me sens esmouvoir
D'une chaleur plus douce, & respirant encore
Les esprits amoureux du bel œil que j'honore,
Essayer la fortune, & me conduire heureux
Au sentir incognu du sort avantureux
Que vous m'ordonnerez, pensez y ma Deesse,