Page:Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville 1606.pdf/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
AMOUREUX

Tout ainsi que celuy qui privé de ce jour
Le desirant tousjours n’en a point la presence.

Sans poids je vay levant de mon sort la balance,
Qui ne s’arreste-point, mais en son quart detour
Remuë incessamment, & detour & retour
Me montre la fortune, en sa vaine inconstance :

Soit ce qu’il en pourra, j’aymeray la rigueur
Du tourment agréable, où demeure mon cœur,
Qu’ores l’espoir abuse, & ores reconforte.

En l’erreur de mes yeux, je conduiray mes yeux,
En mon sort incertain, je verray si les Cieux
Guariront la fureur du mal qui me transporte.


XVIII.


Au plus creux de mon cœur je retien enfermee
La douce passion dont je vis icy bas :
Et de ces yeux divisn les bien-heureux appas
Font que dedans mon sang ma vie est animee,

D’un si benin glaçon mon ame est enflammee,
De discords si plaisans je resens les debats,
Par les effets d’amour, que je ne voudrois pas
Esteindre cette guerre en mon ame frmee.

Plustost je veux tousjours renouveller en moy
L’agreable soucy de mon heureux esmoy,
Pour vivre ainsi constant que mon cœur le desire,

Encores crains-je, helas ! de mourir sans souffrir
La peine, & le souci qu’il me plaist de sentir
Adorant les beautez qu’en mon ame j’admire.

XIX.



De feu, d’horreur, de mort, de peine, de ruyne,
Jours, nuicts, ans, temps, momens, je me sens tourmenté,
Et sous les fers meurtriers de ma captivité,