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AMOUREUX

Vous me verrez passer l’onde du fleuve noir.


XXIII.



J’avois juré tes yeux, ingrate desdaigneuse,
De me sacrifier aux pieds de ta beauté,
Je t’avois pour jamais juré ma loyauté
Et de mourir ton serf en ma peine amoureuse.

Mais ores je te laisse, afin qu’une heureuse
Me rendant en repos ma chere liberté,
Loin du cruel desdain duquel tu m’as traité
Je guide à meilleur sort mon ame langoureuse.

Ha ! te diray-je adieu ! non, helas ! si feray,
Non je demeureray, non, je te laisseray :
Car te servant j’aurois tout mal pour recompense.

Mais helas ! je ne puis, ma vie te laisser,
Tue moy si tu peux : car ma perserverance
Avans que t’oublier me fera trespasser.


XXIIII.



Je change de desirs, non pas de volonté,
Je change de fortune, & non pas d’espérance,
Je change de conseil, & non pas d’asseurance,
Je change de liens, non de captivité.

De mourir pour vos yeux mes deésirs ont esté
Et ma fortune estoit en mon mal patience,
Mon conseil de perir sous vostre obeissance,
Mes liens les rigueurs de vostre cruauté.

Et maintenant je veux vivre pour vos beaux yeux,
J’espere de trouver en vous aymant mon mieux,
Asseuré du loyer de mon heureux servage,

De vos perfections eternel serviteur,
En un meilleur estat, je change mon malheur,
Et je change constant sans changer de courage.