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VINGT-SEPTIÈME AVENTURE.

vilain est extrême ; il se croit le jouet d’un fantôme, il touche de sa main, il sent une grasse humidité dont la puanteur est insupportable ; puis il se lève et court droit au fossé qui fermoit la prairie et qui portoit une profondeur de vingt pieds d’eau. « Lavons-nous d’abord, » se dit-il, « puis je tâcherai de découvrir à qui je dois cette male aventure. »

Comme il arrivoit au fossé et qu’il commençoit à se pencher accroupi pour se laver, Renart, qui ne l’avoit pas perdu de vue, s’étoit laissé glisser à terre et l’avoit rejoint. Quand il l’avoit vu dos courbé, tête penchée sur l’eau, il avoit sauté vivement sur son échine, et de son poids avoit décidé la chûte du vilain au fond du fossé. Pour Renart il n’avoit pas même touché la surface de l’eau. Le pauvre homme, transi d’effroi, étendoit les bras et jouoit des pieds pour échapper au danger ; mais Renart est là, qui avise à quelque distance une large pierre plate et carrée ; il la pousse, la soulève, la fait tomber enfin de telle force sur le dos du vilain que celui-ci descend avec elle dans la bourbe du fossé.

Cependant le Roi et le Connétable, las d’une assez longue attente, s’étoient avancés quelque peu. Ysengrin, dont les yeux étoient excellens, aperçut Renart près du fossé, et le montrant à Monseigneur Noble : « Voyez, sire, comme