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VINGT-NEUVIÈME AVENTURE.

devine l’usage qu’on peut en faire, et déposant la geline qu’il avoit rapportée de la grange, il se rapproche de l’ouverture du puits, s’attache à la corde et la tire de toutes ses forces dans l’espoir de ramener le seau qui reposoit au fond. Mais soit que le vaisseau ne fût pas rempli, soit que la corde tournée sur le treuil eût échappé à la cheville qui la retenoit, Renart fut quand il s’y attendoit le moins entrainé lui-même dans le gouffre.

Il a maintenant toute liberté de boire ; il auroit même le temps de pêcher à son aise. Mais je doute qu’il s’en soit avisé ; la soif ne le tourmentoit plus, elle avoit fait place à la crainte, à la terreur. Le voilà donc attrapé, le grand attrapeur des autres ! Que va-t-il devenir, ô mon Dieu ! il faudroit des ailes pour sortir d’ici. À quoi lui sert une sagesse prétendue ? Il restera dans ce lieu jusqu’au jour du Jugement, à moins qu’un autre ne vienne l’en tirer. Et dans ce cas-là même que n’aura-t-il pas à craindre de ces moines, ennemis de sa race et si convoiteux du collier blanc de sa fourrure.

Tout en faisant ces douloureuses réflexions, il se tenoit d’une patte à la corde du puits, de l’autre à l’anse du seau qui flottoit au-dessus de l’eau. Or, le hasard voulut qu’Ysengrin fût sorti du bois à peu près en même temps que lui et que dans une intention pareille, il arrivât