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SUR LE ROMAN DE RENART.

dernière partie du onzième siècle ou le commencement du douzième. Mais quant à ces noms d’Ysengrin et de Renart, ils peuvent être plus anciens que l’histoire de leurs démêlés. La première date certaine du poëme qui les raconte est, comme je le prouverai tout à l’heure, l’année 1147 ; tandis qu’un passage célèbre de Guibert de Nogent, écrivain mort en 1124, nous apprend que déjà l’usage existoit en 1112 de donner au loup ce surnom d’Ysengrin[1]. Assurément le loup n’avoit pas besoin d’être en guerre avec le goupil pour se recommander à l’attention populaire. Il avoit, longtemps auparavant, pris la coule des moines, montré patte blanche, mangé l’agneau et, peut-être même, le petit Chaperon rouge. Et de damp Renart il en étoit de même : on savoit, avant l’histoire de ses relations criminelles avec la louve, comment il avoit trouvé les raisins trop verts, comment il avoit fait descendre le Bouc dans le puits, comment il avoit trompé le Corbeau et fait chanter le Coq. Mais en mettant en présence ces deux grands malfaiteurs, on répondoit, sans peut-être trop s’en rendre compte, au besoin d’introduire quelque unité dans un double courant de fables, et de placer dans le même cadre deux suites de récits également en vogue. C’étoit encore un moyen de mettre à leur compte plusieurs légendes éparpillées sous d’autres noms, dans les apologues. Quoi qu’il en soit, je le repète, l’invention de la guerre de Renart et d’Ysengrin appartient à la littérature du

  1. Solebat episcopus Laudunensis Teudegaldum irridendo Ysengrinum vocare, propter lupinam scilicet speciem. Sic enim aliqui solent appellare lupos.
    (Guibert. novig. de vita sua, lib. III, cap. ix.)