Page:Les français peints par eux-mêmes, Tome II, 1840.djvu/147

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les désirs et les intentions, où tout se dit, où rien ne s’exécute. Il sort des mots profonds de cette bouche parée de perles, de ces lèvres roses qui se flétriront si vite. Le petit clerc joûte de corruption avec les clercs, sans connaître la portée de sa parole. Une observation expliquera le petit clerc. Tous les matins, au bureau de la légalisation des signatures notariales, il y a une assemblée de petits clercs qui frétillent comme des poissons rouges dans un bocal, et qui font tellement enrager le personnage vieux et soucieux chargé de ce service, qu’il est à peine à l’abri de ces jeunes tigres derrière son grillage. Cet employé (il a failli perdre l’esprit) aurait besoin d’un ou deux sergents de ville dans son bureau. On y a songé. Le préfet de police a craint pour ses sergents. Ce que disent ces petits clercs ferait dresser les cheveux à un argousin, et ce qu’ils font attristerait Satan. Ils se moquent de tout, savent tout et disent tout, ne pouvant encore rien faire. Ils composent à eux tous une espèce de télégraphe singulier qui transmet dans les études et au même moment toutes les nouvelles du notariat. La femme d’un notaire a-t-elle mis l’un de ses bas à l’envers, a-t-elle trop toussé la nuit, a-t-elle eu des querelles avec son mari, le bas, le haut, le milieu, tout se sait par les cent petits-clercs du notariat parisien, en rapport au Palais avec les cent petits-clercs des avoués.

Jusqu’au grade de troisième clerc, les jeunes gens qui se destinent au notariat ressemblent assez à des jeunes gens. Un troisième clerc a déjà vingt ans : il commence à pâlir devant les contrats de vente, il étudie les liquidations, il pioche son droit s’il ne l’a pas pratiqué chez un avoué, il porte les sommes importantes à l’enregistrement, il va recevoir sur les contrats de mariage les signatures des personnages éminents, il aperçoit dans la discrétion et la probité l’élément de son état. Déjà le jeune homme prend l’habitude de ne pas tout dire, il perd cette gracieuse spontanéité de mouvement et de langage qui mérite ce reproche : Vous êtes un enfant ! à quiconque la garde, à l’Artiste, au Savant, à l’écrivain. Ne pas être discret, ne pas être probe, pour un troisième clerc, c’est renoncer au notariat. Chose étrange ! les deux éminentes vertus de l’état préexistent dans l’atmosphère des études. Peu de clercs ont subi deux remontrances à ce sujet. A la seconde d’ailleurs, ils seraient renvoyés et déclarés incapables d’être dans les affaires. Au second clerc commence la responsabilité. Caissier de l’étude, il tient le répertoire, il est chargé du scel, de la signature, de l’enregistrement en temps utile, de la collation des actes. Le troisième clerc rit déjà moins que les autres, mais le second clerc ne rit plus : il met plus ou moins de gaieté dans ses mercuriales, il est plus ou moins sardonique ; mais il sent déjà sur ses épaules le petit manteau officiel. Cependant il est plus d’un second clerc qui se mêle encore à la vie des clercs, il fait encore quelques parties de campagne, il se risque à la Chaumière ; mais alors il n’a pas vingt-cinq ans : à cet âge, tout second clerc pense à traiter de quelque charge en province, effrayé du prix des études à Paris, lassé de la vie parisienne, content d’une destinée modeste, pressé d’être, selon la plaisanterie consacrée, son propre patron, et de se marier. Les piocheurs, de la confrérie des clercs, ont un divertissement particulier appelé conférence. L’esprit de la conférence consiste à se réunir dans un local quelconque pour y agiter les questions ardues de la jurisprudence ;