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LXXXII.



Quand les rocs parleroient, les maisons, & les bois,
Pour plaindre mes mal-heurs : & quand encor Neptune,
Convertiroit en pleurs sa grand plaine importune,
Ils n'auroient assez d'eaux, de soupirs, & de voix.

Quand les Siecles, les Ans, les Saisons, & les Moys,
Voudroyent pleindre à l'envy ma cruelle infortune ;
Quand le Ciel, le Soleil, les Astres, & la Lune,
Voudroient courber leurs chefs sous les plaintives Loix :

Quand l'air feroit crever les plus espesses nues,
Quand leurs humeurs seroient en larmes devenues,
Et que chacun rocher eust un fleuve au couppeau.

Cela ne suffiroit pour allanter ma flame,
Et plaidre le mal-heur qui grave dans mon ame,
La fin, la soif, la peur, la mort, & le tombeau.


LXXXIII.



DUPORT, veux tu sçavoir tout mon pis ou mon mieux.
J'erre deçà delà par les mers incogneues,
Ou je ne voy sinon les fantosmes des nues,
Et de nuict les flambeaux qui bigarrent les Cieux.

Tantost un vent austral s'enfle & tout furieux,
Meslance sur le saut des grands roches cornues,
Et puis m'ensevelit sous les vagues esmeues :
Voila tout le plaisir dont je repais mes yeux.

Au fort de ce danger j'ay tousjours dedans l'ame,
Le portrait de l'amour & celuy de madame,
Qui malgré la froideur me bruslent sanq & os.

Coy vous donc mon DUPORT, qu'estrange est mon martyre,
Si je me veux guarir, le remede m'empire :
Et bref me faut brusler dans la moisteur des flots.