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Voyages Aduentureux

alors le Roy Dom Iuan troiſieſme, que Dieu abſolue, à cauſe d’vne grande peſte ſuruenuë en plusieurs endroits du Royaume. Iugeant donc que cette Carauelle eſtoit sur le poinct de démarer du port, ie m’y embarquay, & partis le lendemain. Mais helas ! peu de temps apres que nous euſmes fait voile en pleine mer, ayans gagné iuſques en vn lieu nommé Cezimbre, nous fuſmes attaquez par vn Corſaire François, qui nous ayant abordé, fit ſauter dans noſtre nauire, quinze ou vingt de ſes gens, qui ne trouuans aucune reſiſtance en nous, s’en firent les maiſtres, pource qu’ils nous prirent au dépourueu. Or apres qu’ils nous eurent tous ſaccagez, ils vuiderent dans leur vaiſſeau toute la marchandiſe, dont le noſtre eſtoit chargé, qui ſe montoit à plus de ſix mil ducats, puis ils le coulerent à fonds. Tellement que dix-ſept qui demeuraſmes en vie, il n’y en eut pas vn ſeul qui peut s’exempter de la ſeruitude. Car tous garottez & liez que nous eſtions pieds & mains, ils nous firent entrer dans leur vaiſſeau, en intention de nous aller vendre à la Rache en Barbarie ; meſme comme nous eſtions ainſi parmi eux nous connuſmes qu’ils y portoient des armes, pour les vendre aux Mahumetans, & en faire commerce auec eux. Pour ce deſſein ils nous menerent 13. iours entiers, ſans nous traiter autrement qu’à coups de foüet. Mais au bout de treize iours, la fortune voulut qu’enuiron le Soleil couché ils découurirent vn nauire, auquel ils donnerent la chaſſe toute la nuict, le ſuiuant à la route, comme vieux Corſaires, vſitez de longue main à tels brigandages. L’ayant ioint enuiron l’aube du iour, ils luy firent vne ſalve de trois Canonades, puis l’inueſtirent en meſme temps, auec beaucoup de courage. Or bien qu’à l’abord il ſe fiſt quelque reſiſtance par les noſtres, ſi eſt ce qu’ils ne laiſſerent pas de s’en rendre maiſtres, y donnant la mort à six Portugais, & à dix ou douze Eſclaues. Ce vaiſſeau eſtoit grandement beau & appartenoit à vn Marchand Portugais de la ville de Condé, nommé Silueſtre Godinho, que pluſieurs autres Marchands de Lisbonne auoient chargé à S. Tomé, de grande quantité de ſuccre