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Voyages Aduentureux

ticou luy donnoit ſur ce ſujet, le pria tres inſtamment de ne ſe point faſcher, l’aſſeurant qu’il n’auoit pour lors aucun moyen plus aſſeuré ny plus certain, que celuy qu’il eſtoit venu chercher en ce lieu. Surquoy l’Hermite ioignant les mains, & regardant le Ciel ſe miſt à dire en pleurant, Loüé ſoyez vous, ô Seigneur, qui ſouffrez qu’il y ait en la terre des hommes qui vous offencen ſous pretexte de chercher à viure, & qui ne daignes vous ſeruir vne ſeule heure, quoy qu’ils ſçachent combien eſt aſſeurée voſtre gloire. Apres auoir proferé ces paroles, il demeura vn peu penſif & confus à cauſe de ce qu’il voyoit deuant luy, du grand deſordre que nous faiſions en rompant les quaiſſes, & les iettant hors de leur lieu. A la fin regardant derechef Antonio de Faria, qui pour lors ſe tenoit de bout, appuyé ſur ſon eſpadon, il le pria de s’aſſeoir vn peu pres de luy, ce qu’il fit auec beaucoup de complimens & de courtoiſie, ne laiſſant pas pour cela de faire ſigne à ſes ſoldats, de continuer ce qu’ils auoit deſia commencé, qui eſtoit de prendre l’argent qu’ils trouuoient peſle-meſle parmy les oſſemens des morts, dans les tombeaux qu’ils rompoient ; ce que l’Hermite ſouffroit ſi à regret, que par deux diuerſes fois il tomba eſuanoüy d’vn banc où il eſtoit aſſis, tant cette offence luy ſembloit grande. Mais apres qu’il fut reuenu à ſoy, recommençant à s’entretenir auec Antonio de Faria, Ie te veux declarer, continua-il ; comme à vn homme qui me ſemble diſcret, en quoy conſiſte le moyen d’obtenir le pardon du peché que tu as commis maintenant auec tes gens, afin que ton ame ne periſſe eternellement, lors qu’auec le dernier ſouſpir de ta bouche elle ſortira de ton corps. Puis qu’il eſt ainſi que tu me dis, que c’eſt la neceßité qui te contraint de faire vne ſi grande offence, & que tu es en volonté de reſtituer auant que mourir, ce que tu prens maintenant, ſi tu en as le temps & le moyen, il faut que tu faſſes trois choſes que ie te diray à preſent. La premiere, que tu rendes auant ta mort ce que tu auras pris, afin que le ſouuerain Seigneur ne deſtourne de toy ſa clemence. La ſeconde, qu’auec les larmes aux yeux tu luy demãde pardon de la faute commiſe, puis que ton peché luy eſt ſi fort odieux, en ne ceſſant de chaſtier ta chair iour & nuit. Et la troiſieſme, que tu partages tes biens aux pauures, außi liberalement qu’à toy-meſme,