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Voyages Aduentureux

diſent icy ſont tres-veritables, auſſi veritablement c’eſt dequoy vous ne deuez pas vous eſtonner puis que cela eſt ſi ordinaire, qu’il arriue le plus ſouuent que ceux qui hantent ſur la mer y font leur tombeau ; c’eſt pourquoy, mes amis, le meilleur & le plus aſſeuré c’eſt d’eſtimer la terre & trauailler ſur terre, puis que c’eſt la matiere dont il a plû à Dieu nous former. Cela dit, elle nous donna deux mazes, qui valent chacun ſix ſols & demy de noſtre monnoye, & nous recommanda de ne plus faire de ſi longs voyages, puiſque Dieu nous auoit fait la vie ſi courte. Cela dit, elle ſe deſboutonna vne manche d’vne juppe de ſatin rouge qu’elle auoit veſtuë, & nous deſcouurant le bras gauche elle nous fiſt voir deſſus vne Croix empreinte, comme la marque d’vn eſclaue. Sur quoy nous regardans fixement, Y a-il quelqu’vn de vous, adiouſta-elle, qui cognoiſſe ce ſigne, qui parmy les gens qui ſuiuent le chemin de la verité s’appelle Croix ? ou bien quelqu’vn de vous l’a-il point ouy nommer ? Nous n’euſmes pas pluſtoſt veu cela que nous miſmes les genoux à terre auec beaucoup de reſpect, & reſpondiſmes, les larmes aux yeux, que nous cognoiſſions bien cela. Sur quoy s’eſtant miſe à crier, & hauſſant les mains au Ciel ; Noſtre pere qui és aux Cieux, dit elle, ton nom ſoit ſanctifié, paroles qu’elle profera en langue Portugaiſe, & pource qu’elle ne ſçauoit pas dauantage de noſtre langue, s’eſtant remiſe à parler Chinois, elle nous pria tres-inſtamment de dire ſi nous eſtions Chreſtiens ? A quoy nous luy reſpondiſmes qu’ouy, & tous ensemble luy prenant le bras où la Croix eſtoit marquée, nous la baiſaſmes ; & pour preuue de cette verité, nous continuaſmes tout le reſte de l’Oraiſon Dominicale qu’elle auoit laiſſé à dire. Alors comme elle eut appris veritablement que nous eſtions Chreſtiens, toute baignée de larmes elle ſe ſepara d’auec ceux qui eſtoient là preſents, & nous diſt ; Venez, Chreſtiens du bout du monde, auec celle qui est voſtre vraye ſœur en la foy de Ieſus-Chriſt, ou poſſible parente de quelqu’vn de vous, du coſté de celuy qui m’a engendré en ce miſerable exil. A meſme temps elle commença de prendre le chemin de ſon logis pour nous y mener, à quoy ne voulurent s’accor-