Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/106

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la parole, ne se contenta pas de redire ce qu’il avait dit à la gouvernante ; il se mit à vanter mon mérite, et s’étendit principalement sur l’honneur que je m’étais acquis chez le docteur Godinez dans les disputes de philosophie : comme s’il eût fallu que je fusse un grand philosophe pour devenir valet d’un chanoine ! Cependant, par le bel éloge qu’il fit de moi, il ne laissa pas de jeter de la poudre aux yeux du licencié, qui, remarquant d’ailleurs que je ne déplaisais pas à la dame Jacinte, dit à mon répondant : L’ami, je reçois à mon service le garçon que tu m’amènes ; il me revient assez, et je juge favorablement de ses mœurs, puisqu’il m’est présenté par un domestique du seigneur Ordonnez.

D’abord que Fabrice vit que j’étais arrêté, il fit une grande révérence au chanoine, une autre encore plus profonde à la gouvernante, et se retira fort satisfait, après m’avoir dit tout bas que nous nous reverrions, et que je n’avais qu’à rester là. Dès qu’il fut sorti, le licencié me demanda comment je m’appelais, pourquoi j’avais quitté ma patrie ; et par ses questions il m’engagea, devant la dame Jacinte, à raconter mon histoire. Je les divertis tous deux, surtout par le récit de ma dernière aventure. Camille et don Raphaël leur donnèrent une si forte envie de rire, qu’il en pensa coûter la vie au vieux goutteux : car, comme il riait de toute sa force, il lui prit une toux si violente, que je crus qu’il allait passer. Il n’avait pas encore fait son testament : jugez si la gouvernante fut alarmée ! Je la vis tremblante, éperdue, courir au secours du bonhomme, et, faisant tout ce qu’on fait pour soulager les enfants qui toussent, lui frotter le front et lui taper le dos. Ce ne fut pourtant qu’une fausse alarme : le vieillard cessa de tousser, et sa gouvernante de le tourmenter. Alors, je voulus achever mon récit ; mais la dame Jacinte, craignant une seconde toux, s’y opposa. Elle m’emmena même de la chambre du chanoine dans une garde-robe, où parmi plusieurs habits était celui de mon prédé-