Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/198

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affaire finie : Rodriguez, ajouta-t-il, parlons d’autres choses. Vous arrivez à propos ; j’allais vous envoyer chercher. J’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre, mon cher Rodriguez. J’ai joué de malheur cette nuit ; avec cent pistoles que j’avais, j’en ai encore perdu deux cents sur ma parole. Vous savez de quelle conséquence il est, pour des personnes de condition, de s’acquitter de cette sorte de dette. C’est proprement la seule que le point d’honneur nous oblige à payer avec exactitude. Aussi ne payons-nous pas les autres religieusement. Il faut donc trouver deux cents pistoles tout à l’heure, et les envoyer à la comtesse de Pedrosa. Monsieur, dit l’intendant, cela n’est pas si difficile à dire qu’à exécuter. Où voulez-vous, s’il vous plaît, que je prenne cette somme ? Je ne touche pas un maravédis de vos fermiers, quelque menace que je puisse leur faire. Cependant il faut que j’entretienne honnêtement votre domestique, et que je sue sang et eau pour fournir à votre dépense. Il est vrai que jusqu’ici, grâce au ciel, j’en suis venu à bout ; mais je ne sais plus à quel saint me vouer ; je suis réduit à l’extrémité. Tous ces discours sont inutiles, interrompit don Mathias, et ces détails ne font que m’ennuyer. Ne prétendez-vous pas, Rodriguez, que je change de conduite, et que je m’amuse à prendre soin de mon bien ? L’agréable amusement pour un homme de plaisir comme moi ! Patience, répliqua l’intendant, au train que vont les choses, je prévois que vous serez bientôt débarrassé pour toujours de ce soin-là. Vous me fatiguez, repartit brusquement le jeune seigneur, vous m’assassinez. Laissez-moi me ruiner sans que je m’en aperçoive. Il me faut, vous dis-je, deux cents pistoles ; il me les faut. Je vais donc, dit Rodriguez, avoir recours au petit vieillard qui vous a déjà prêté de l’argent, à grosse usure ? Ayez recours si vous voulez, au diable, répondit don Mathias ; pourvu que j’aie deux cents pistoles, je ne me soucie pas du reste.